« Le problème » ethnique en Guinée est une invention des responsables politiques et des gouvernements successifs. Car l’analyse des interactions historiques et contemporaines entre les différentes communautés ethnoculturelles, bien qu’elle laisse entrevoir quelques conflits, ne permet pas de conclure que les appartenances ethniques en soi posent un problème.
On constate aussi que le communautarisme et les divisions régionales ne deviennent un problème que dans un contexte électoral. C’est lorsque sont en jeu le pouvoir et la conservation des privilèges socioéconomiques que l’appartenance ethnique est mobilisée comme un instrument de lutte politique. Ce qui d’ailleurs n’est pas le propre de la Guinée ou de l’Afrique.
Dans le cas spécifique de la Guinée, il faut relever, enfin, que si les partis politiques recrutent sur des bases communautaires, l’importance des appartenances ethniques n’a pas encore fait l’objet d’une interrogation politique. C’est-à-dire que l’existence des différentes communautés ethniques historiquement constituées, donc le multiculturalisme de la société guinéenne, n’a pas été organisée politiquement et institutionnellement.
En réalité, les responsables politiques ont toujours instrumentalisé les appartenances ethniques, mais ils n’ont jamais pensé à organiser politiquement la coexistence des différentes communautés sous les rapports de la justice et de l’égalité.
Si donc il y a un problème ethnique en Guinée, celui-ci est de nature instrumentale et consiste dans l’utilisation par les gouvernants des positions de pouvoir pour discréditer ou s’acharner sur une communauté particulière. Comme ce fut le cas, en 1976, avec la déclaration publique de « la guerre aux peuls » lancée par Sékou Touré. Aussi en est-il, en 1985, du « Wo fatara » de Lansa Conté, qui justifia les attaques subies par les malinkés après le coup d’État manqué attribué au colonel Diarra Traoré.
Cette instrumentalisation politique de l’ethnie est enfin repérable dans le spectre d’une menace peule agité par Alpha Condé lors de la campagne présidentielle de 2020. Ces différents évènements traduisent non pas un conflit entre les différentes communautés ethniques, mais l’usage des appartenances ethniques pour exclure du champ politique et social une communauté ethnique jugée menaçante et illégitime.
Il s’agit de diaboliser pour mieux régner : en ce sens, l’ethnie a été un instrument puissant de démobilisation social qui a empêché les Guinéens d’avoir une conscience commune des injustices et des inégalités politiques. Tant et aussi longtemps que prime la lecture ethnique du problème politique guinéen, l’injustifiable condition des Guinéens ne pourra jamais être un levier insurrectionnel. Il suffit de faire une cartographie de la résistance à Conakry pour s’en convaincre. D’où la nécessité avant tout de comprendre ce que l’on veut dire quand est évoqué le « problème » ethnique : c’est un piège politique.
On peut même constater, ironiquement, que d’un point de vue de la représentativité politique et institutionnelle, les appartenances ethniques n’ont pas posé de problème aux gouvernants successifs en Guinée. Sinon comment expliquer la surreprésentation d’une seule communauté ethnique au sein l’administration « publique », de l’armée, de la diplomatie et de toutes les sphères du pouvoir ? Si les postes et fonctions stratégiques d’un « État » ne sont pas ouverts à toutes les communautés, cela veut dire que les gouvernants n’ont pas conscience de la problématique de la représentativité politique et même de l’équité, ou feignent de l’ignorer.
Si réellement les appartenances ethniques posaient problème en Guinée, si donc le politique prenait au sérieux la division communautaire de la Guinée, nous aurions assisté à une organisation du pouvoir représentative de toutes les communautés ethnoculturelles du pays. Or, de tout temps, il s’est agi, en matière de gestion de la vie commune, de favoriser l’influence d’une minorité appartenant à une communauté ethnique particulière.
Cette minorité elle-même n’a jamais redistribué au sein de sa communauté les bénéfices tirés de l’exercice du pouvoir. Comme en témoigne la précarité des quatre régions de la Guinée. Malheureusement, les populations guinéennes sont prisonnières du symbolique et évacuent toute la dimension politique de leur problème.
Amadou Sadjo Barry
Professeur de philosophie
Cégep de St-Hyacinthe
Québec, Canada