Le 25 mai, George Floyd, un Afro-américain de 46 ans, décédait des suites d’une arrestation musclée à Minneapolis filmée par des passants. La vague de contestation américaine se répand à travers le monde et les Africains prennent fait et cause pour la victime. De la disparition sans projecteur du Guinéen Mohamed Bah à George Floyd ou la « bavure de trop », l’Afrique sous influence numérique.
A terre, un colosse américain est immobilisé, l’homme suffoque et supplie Derek Chauvin, l’officier de police qui le maintient au sol. Malgré les protestations des passants, le policier maintient fermement son genou sur le cou de George Floyd, qui succombe en quelques minutes. Une adolescente filme la scène et la poste sur YouTube. En quelques heures la vidéo devient virale. « I can’t breath » devient la phrase de ralliement de la contestation mondiale contre les violences policières sur les Afro-américains. Les Etats-Unis s’embrasent et le couvre-feu est instauré le 1er juin 2020. De Houston à New York en passant par Los Angeles ou Washington, la colère s’intensifie, et ce, malgré l’arrestation du policier qui sera inculpé quelques jours plus tard, pour homicide au 2e degré, passible de 40 ans de prison.
Dès le 25 mai, Carine Kaneza Nantulya, la Directrice du plaidoyer pour l’Afrique de Human Right Watch (HRW) déclare que « George Floyd est nous tous », actant l’identification des populations africaines. Dans la foulée, les Ambassades du Kenya, d’Ouganda, de Tanzanie et de République Démocratique du Congo manifestent leurs préoccupations sur cette affaire. Le 1er juin, Nicéphore Soglo, l’ancien président du Bénin, actuellement vice-président du Forum des anciens chefs d’Etat et de gouvernements d’Afrique, exhorte les dirigeants africains à « manifester fermement » contre ce meurtre. « Quel niveau de cruauté devez-vous atteindre pour que le monde se réveille enfin et manifeste son indignation ? Qui oserait ainsi, à visage découvert, traiter de la sorte de nos jours un Européen, un Arabe, un Israélien, un Indien, un Chinois, un Japonais, un Argentin ou un Chilien ? etc. Trop, c’est trop ! », pouvait-on lire dans la déclaration. Le lendemain, c’est au tour de Moussa Faki Mahamat, le chef de la Commission de l’Union Africaine (UA) de dénoncer ce « meurtre » depuis Addis-Abeba, rappelant au passage qu’en 1964, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) adoptait déjà une résolution contre les discriminations raciales en Afrique du Sud, en Rhodésie, mais aussi… aux Etats-Unis.
Recrudescence des violences policières pendant la pandémie, le miroir américain
Une telle communion contre les violences policières en Afrique ne s’était pas vue depuis la fin du régime de l’apartheid. Dès lors, comment expliquer une telle mobilisation pour un « fait divers » à l’autre bout du monde (l’an dernier, près de 1 000 personnes ont été tuées par la police aux Etats-Unis, d’après Mapping Police Violence qui constate par ailleurs que les Afro-américains présentent 3 fois plus de risques que leurs concitoyens blancs) ?
Il faut dire que la pandémie de coronavirus n’a pas fait disparaître toutes exactions policières en terres africaines -pas davantage que le racisme ordinaire entre communautés-, bien au contraire selon Human Right Watch.
Le 26 mars, des vendeurs de fruits ougandais étaient frappés publiquement par la police, poussant Amelia Kyambadde, la ministre du Commerce, à demander aux forces de l’ordre de « s’abstenir de frapper » et à l’armée de s’excuser. Le lendemain, la police blessait deux hommes par balle, toujours dans le cadre des restrictions de déplacement imposées par le gouvernement.
Au Kenya, un adolescent de 13 ans est tué pendant le couvre-feu tandis que les policiers dispersent des centaines de touristes à l’aide de gaz lacrymogènes, du côté de Mombasa. Au moins 18 exécutions extra-judiciaires ont été dénoncées par la Commission des droits de l’homme du Nigeria dès les quinze premiers jours du confinement. En Afrique du Sud, Collins Khosa, un père de famille est battu par la police pour avoir enfreint les règles du confinement et décède en quelques heures. Les accusés sont rapidement disculpés. Conscient de la situation électrique, le président Cyril Ramaphosa en personne rappelle aux forces de sécurité qu’elles « doivent agir dans le cadre de la loi ».
HRW dénonce l’excès de zèle des forces de l’ordre en Afrique et l’augmentation des « brutalités » pendant l’épidémie de coronavirus. Pourtant, ce ne sont pas les seules violences policières, mais bien la question du racisme ordinaire relayée sur Internet, qui a provoqué l’identification instantanée des populations africaines à George Floyd.
L’Afro-américain, cet Africain en exil
Historiquement, les Afro-américains sont considérés comme de lointains parents sur le continent. Le président ghanéen, Nana Akufo-Ado avait d’ailleurs fait de 2019, « l’année du retour » pour les descendants d’esclaves, invitant la diaspora à « rentrer » sur le continent.
« Etant donné que nous étions 22 millions d’Africains, qui sont maintenant en Amérique, non par choix, mais seulement par un accident cruel dans notre histoire, nous croyons fermement que les problèmes africains sont nos problèmes et que nos problèmes sont les problèmes des Africains », déclarait Malcom X en juillet 1964, à l’occasion du Sommet de l’Organisation de l’Union africaine (ex-Union africaine), dans un discours récemment exhumé, en écho à l’actualité.
« Trois étudiants du Kenya ont été confondus avec des Noirs américains et ont été brutalement battus par la police de New York. Peu de temps après, deux diplomates d’Ouganda ont également été battus par la police de New York, qui les a pris pour des Noirs américains » soulignait le prêcheur, partant du principe que chaque Américain noir est un Africain en exil…
Cette communauté de destin entre les Noirs d’Afrique du Sud et les Afro-américains s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’apartheid, les deux pays ayant vécu sous un ordre juridique et géographique reposant sur la ségrégation raciale (Les Etats-Unis ont soutenu le régime ségrégationniste sud-africain pendant la guerre froide). « Il est déplorable que près de 70 ans après l’abolition de la ségrégation raciale en Amérique, les gens de couleur soient toujours tués pour la couleur de leur peau », rappelait d’ailleurs le Congrès national africain (ANC), le 2 juin dernier. Toujours est-il que le « cas de George Floyd », a réveillé de tristes réalités africaines en terre yankee, loin des projecteurs et des réseaux sociaux.
Une justice sans lumière pour le Guinéen Mohamed Bah, victime de la police new-yorkaise
Fallait-il que Mohamed Bah soit filmé pour susciter l’intérêt sur le continent ? Pas si sûr, selon Saïckou Bah, un jeune entrepreneur guinéen dont le frère cadet a été tué à l’âge de 27 ans, par la police de New York, un 25 septembre 2012. « A cette époque, l’Amérique n’était pas prête à inculper ses policiers », estime-t-il. Depuis le mouvement #blacklivesmatter est passé par là… Etudiant et chauffeur de taxi à mi-temps, mais aussi grand sportif à ses heures, Mohamed rêvait de devenir entrepreneur et de se lancer dans le business des laveries automatiques en Guinée. Les circonstances en décideront autrement…
« La veille du drame, ma mère arrivée de Conakry avait déjeuné avec Mohamed qui devait fêter son anniversaire deux jours plus tard. Il ne se sentait pas bien. Le lendemain, constatant par téléphone qu’il n’allait pas mieux, ma mère décida d’appeler le 911, déclarant qu’elle était inquiète, dans un anglais approximatif « I’m scared » [ J’ai peur , ndlr]». Les policiers ont pris l’appel au pied de la lettre.
Surpris et bousculé, Mohamed prend peur face à l’arrivée d’une dizaine de policiers dont des membres du SWAT (l’équivalent du RAID) et refuse de leur ouvrir, lesquels forcent la porte. Les événements dégénèrent. Mohamed ressort quelques minutes plus tard criblé d’une dizaine de balles dans le corps, dont l’une tirée à bout portant dans la tête. Traîné sur 6 étages, il est déclaré mort peu après. Les policiers indiqueront à la famille qu’il s’était saisi d’un couteau pour les agresser et qu’ils avaient tiré en situation de légitime défense. Des faits immédiatement contestés par la famille de Mohamed qui s’engage alors dans une bataille judiciaire avec la ville de New York pendant 8 ans, soutenue par d’autres familles de victimes et même par Hillary Clinton.
Après un procès perdu au pénal, le procès en civil fera finalement toute la lumière sur les circonstances de la mort de Mohamed. L’un des policiers admettra la bavure et la ville sera condamnée à verser 2,2 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille Bah. Aucun des policiers ne sera condamné.
« Nous n’étions pas préparés à ça. Nous avons été éduqués à l’étranger pour nous y former avant de revenir en Guinée pour participer au développement de notre pays », explique Saïckou, fils d’une mère diamantaire et d’un père entrepreneur. « Si la scène avait été filmée, nous aurions eu plus de facilités pour faire reconnaître les faits, mais je ne pense pas que le drame de Minneapolis changera les mentalités de l’Amérique profonde […] Autour de moi, le cas George Floyd nous rappelle seulement que des Africains meurent aussi aux Etats-Unis, des suites de violences policières, dans la plus grande indifférence. Ma famille avait les moyens de se défendre même si cela nous a ruiné financement et surtout moralement. Mais que ce passe-t-il pour tous les autres ? », interroge-t-il.
A l’heure où les gouvernants africains affichent une solidarité sans faille avec les victimes afro-américaines des violences policières, Saïckou regrette ne n’avoir reçu aucun soutien officiel, pas plus du Ghana que d’Afrique du Sud ou de Guinée.
Afriquelatribune.fr