Le collectif des Avocats de Mamadou Cellou Baldé, Ousmane Gaoual Diallo, El Hadj Ibrahima Chérif Bah, Abdoulaye Bah, Etienne Soropogui et autres a pris connaissance d’un communiqué en date du 07 Mai 2021 par lequel le Gouvernement a annoncé que, dans le cadre de l’instruction du dossier relatif à l’attaque d’un train à Sonfonia, sur 17 personnes inculpées, 8 sont renvoyées devant le Tribunal pour être jugées et 9 autres ont bénéficié d’un non-lieu et immédiatement libérées.
Dans le second dossier, celui concernant Mamadou Cellou Baldé, Ousmane Gaoual Diallo, El Hadj Ibrahima Chérif Bah, Abdoulaye Bah, Etienne Soropogui et autres, 31 inculpés sur 80 ont bénéficié d’un non-lieu et remis en liberté tandis que 49 sont renvoyés devant le Tribunal en vue d’un jugement.
Il est mentionné dans ledit communiqué que « le Gouvernement note avec satisfaction que la procédure en cours se déroule dans la sérénité, dans le strict respect de l’indépendance consacrée de la justice et le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs dans un Etat de Droit et qu’il maintient sa posture qui consiste à faire entièrement confiance aux institutions nationales et se félicite que la justice instruise toutes les affaires qui lui sont soumises dans la sérénité avec un professionnalisme exemplaire. Malgré les multiples pressions subies et les tentatives d’intimidation des magistrats qui ne doivent se soumettre qu’à la loi et n’écouter que leur conscience en suivant leur intime conviction. »
A travers une simple lecture de ces quelques lignes sans même prendre le soin de les analyser, tout observateur avisé se rend compte immédiatement que ce communiqué n’est rien d’autre qu’une maladroite tentative de crédibilisation d’une procédure judiciaire qui suscite des interrogations et des doutes au sein de l’opinion nationale et internationale.
En parlant de « professionnalisme exemplaire de la justice » et de « magistrats qui ne doivent se soumettre qu’à la loi et n’écouter que leur conscience en suivant leur intime conviction », le communiqué du Gouvernement se contente d’une déclamation, sans conviction aucune, de principes contenus dans les textes mais dont l’application souffre de graves entorses en raison des multiples formes d’immiscions de l’Exécutif dans les affaires judiciaires.
Il importe de noter d’ailleurs que les termes du communiqué gouvernemental sur le professionnalisme de la justice contrastent avec les déclarations du Premier Magistrat du pays qui ne manque aucune occasion de tancer vertement l’appareil judiciaire dont il dénonce les insuffisances et celles du Président de l’Assemblée Nationale qui soutient sans cesse que « la Justice guinéenne peine à rassurer les justiciables. »
D’ailleurs, le seul constat que l’annonce de la clôture de l’instruction préparatoire ait été faite par le Gouvernement et non par le Procureur de la République à qui la loi confère ce rôle, suffit à démontrer de la manière la plus éloquente l’ineffectivité, voire l’inexistence de la séparation des pouvoirs et jette un doute sérieux sur l’indépendance des Juges, particulièrement dans cette affaire.
Comment comprendre en effet que ce soit le porte-parole du Gouvernement qui annonce la fin de l’information judiciaire alors qu’on affirme à cor et à cri que le Pouvoir Exécutif s’interdit de s’immiscer dans le traitement des dossiers pendants devant la Justice ?
Aux termes de l’article 8 alinéa 3 du code de procédure pénale : « …le procureur de la République peut, d’office ou à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation. »
En réalité, le Gouvernement a voulu faire uniquement de la communication pour la communication en perdant de vue qu’une procédure judiciaire obéit, en termes de communication, à des règles spécifiques qui s’accommodent très mal d’une communication purement politique.
En fin de compte, en voulant crédibiliser une procédure judiciaire qui en a véritablement besoin, on a contribué à la décrédibiliser davantage.
Cette procédure ne pouvait d’ailleurs offrir aucune garantie de crédibilité.
En effet, dans un récent numéro du Journal « Jeune Afrique », le Président de la République s’est prononcé sur cette affaire en faisant des déclarations qui constituent non seulement une atteinte à la présomption d’innocence mais peuvent être également analysées comme une sorte d’orientation donnée aux Juges et une indication sur ce qui devait être la suite de l’instruction. Aucun Juge ne pouvait avoir le courage d’aller à l’encontre de ces déclarations en ce qui concerne les responsables politiques détenus.
En ce qui concerne la conduite même de l’instruction, elle a été émaillée de violations graves et manifestes des droits de la défense. Selon l’article 202 du Code de procédure pénale : « L’inculpé et la partie civile ne peuvent être entendus ou confrontés, à moins qu’ils n’y renoncent expressément, qu’en présence de leurs conseils ou ceux-ci dûment appelés. Mention de la renonciation doit être faite en tête du procès-verbal.
S’il réside au siège de l’instruction, le conseil est convoqué au plus tard l’avant-veille de l’interrogatoire par lettre recommandée ou par avis comportant l’un ou l’autre un accusé de réception. Lorsque le conseil ne réside pas au siège de l’instruction, ce délai est porté à 8 jours.
La procédure doit être mise à la disposition du conseil de l’inculpé 24 heures au plus tard avant chaque interrogatoire ou confrontation.
Elle doit également être remise à la disposition du conseil de la partie civile, 24 heures au plus tard avant l’audition de cette dernière… »
Ce texte permet aux inculpés de disposer du temps et des facilités nécessaires pour organiser leur défense en ayant accès au dossier de la procédure les concernant.
Dans la présente affaire, cela était d’autant plus nécessaire que la majorité des personnes concernées ont été raflées, conduites au niveau des commissariats de police ou des Compagnies Mobiles d’Intervention et de Sécurité (CMIS) et soumis à un interrogatoire sans la présence d’avocats. Or, l’essentiel des questions des Juges d’instruction était basé sur les procès-verbaux établis à l’enquête de police.
Les inculpés avaient donc le plus grand intérêt à connaitre le contenu de ces procès-verbaux. Fort malheureusement, le dossier de la procédure n’a jamais été mis à la disposition des avocats constitués, en violation flagrante de l’article suscité.
En dépit de toutes ses irrégularités, le collectif des avocats de la défense, en accord avec les détenus politiques, a décidé de poursuivre sa mission en assistant ces derniers. Cette démarche s’explique principalement par le fait que l’instruction préparatoire est terminée et que l’instruction définitive se fera à la barre à l’occasion d’un procès public que les détenus souhaitent juste et équitable.
En tout état de cause, le collectif des avocats de la défense garde l’espoir que la juridiction de jugement ne pourra fonder sa décision que sur des éléments de preuve qui seront apportés au cours des débats et contradictoirement discutés devant elle.
Le Collectif des Avocats de la défense