La résurgence des militaires en quête de pouvoir en Afrique de l’Ouest menace les progrès difficilement acquis dans la région depuis le début des années 1990. Le coup d’État militaire en Guinée est le troisième dans la région en un an.
Récemment, 14 des 15 membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) étaient à tendance démocratique, selon les données de Freedom House et du Center for Systemic Peace. Mais aujourd’hui, seuls 11 le sont, et certains demeurent au bord de précipice du recul démocratique.
La succession récente de coups—y compris au Mali en août 2020 et en mai 2021, et au Tchad en avril 2021—a des implications inquiétantes pour la stabilité dans une région déjà sous le joug de menaces grandissantes à sa sécurité. Si le coup devient une façon viable de prendre le pouvoir, qui empêchera d’autres d’entrer dans la brèche ?
Reconnaitre les coups d’État militaires revient à normaliser ces prises de pouvoirs extralégales. En un seul coup, les droits et les protections des citoyens s’en trouvent dissous. Les décisions régaliennes sont réduites aux caprices des membres d’une junte et des corps habillés qui ont rendu leur ascension au pouvoir possible. Le meneur du coup peut faire ce qu’il veut. La demande de la junte guinéenne de geler les comptes étatiques de la Banque centrale afin de « sécuriser les actifs de l’Etat » en est un excellent exemple.
En Afrique, les coups militaires ont une triste réputation quant à leurs effets sur le bien-être des citoyens. La Guinée en est un cas d’école. Après avoir pris le pouvoir par un coup d’État en 1984, le régime du Colonel Lansana Conté s’est caractérisé par deux décennies de gouvernance répressive, d’abus des droits humains et de mauvaise gestion.
En 2008, le coup d’État lancé par le capitaine Moussa Dadis Camara après la mort de Conté a davantage plongé la Guinée dans l’instabilité. En 2009, lors d’une manifestation contre le régime de Camara tenue au stade national de Conakry, les forces de sécurité ont massacré au moins 150 personnes et violé des douzaines de femmes, un évènement pour lequel ils demeurent tristement célèbres.
Ces expériences avec la gouvernance militaire ont laissé les Guinéens traumatisés, appauvris et isolés sur le plan économique.
Il est donc clair qu’il faut défaire le coup d’État en Guinée. La question est quelle est la meilleure manière de le faire. Toute reconnaissance du coup risquerait d’encourager de futures interventions des militaires.
Jusqu’à présent, la condamnation de ce coup a été universelle. De plus la CEDEAO et l’Union africaine ont suspendu la Guinée et imposé des sanctions sur la junte.
C’est une bonne première étape. Mais elle doit être suivie par d’autres actions concrètes qui refuseront toute reconnaissance à la junte. La délégation envoyée par la CEDEAO à Conakry doit demander un retour rapide à l’ordre constitutionnel et à une transition politique civile qui restaurera la gouvernance démocratique.
Néanmoins, rendre son fauteuil au Président Alpha Condé n’atteindrait non seulement pas cet objectif, il balayerait aussi sous le tapis la manière douteuse dont il était resté au pouvoir.
Le glissement autoritaire de Condé
La présidence d’Alpha Condé s’est distinguée pour ses dérives autoritaires, notamment l’arrestation de dirigeants de l’opposition, les enfreintes à la liberté de la presse, l’interdiction des manifestations et la mise au pas du système judiciaire et de la commission électorale. Mais sa manœuvre la plus controversée a été son tripotage constitutionnel qui lui a permis de briguer un troisième mandat. En effet, la constitution de 2010 avait formellement interdit au président d’en servir plus de deux.
La campagne pour la présidentielle de 2020 s’est caractérisée par les stratégies autoritaires habituelles: la violence envers l’opposition et l’empêchement de leurs meetings de campagne, et la suppression des médias. Les résultats officiels ont donné à Condé la majorité même dans les régions normalement acquises à l’opposition et lui ont décerné 59 % du vote.
Ces résultats ont déclenché des manifestations, des arrestations, une répression de l’opposition qui a causé la mort de plus de 20 personnes. L’opposition a déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle, qui contrôlée par des fidèles au président, a évidemment validé les résultats officiels. Ces violations flagrantes au processus électoral ont entrainé certains critiques à le qualifier de « coup rampant »
Mais la CEDEAO, l’Union africaine et la communauté internationale n’ont prononcé que de rares critiques et se sont contentés de rappeler la nécessité de respecter la nouvelle constitution de 2020.
Les revendications de Condé, que ce soit à la présidence ou à la légitimité, sont donc faibles. Lui rendre sont fauteuil ne suffirait pas à remettre la Guinée sur la voie de la démocratie et risquerait même d’alimenter l’instabilité.
Des voies au retour de la démocratie
La Guinée pourrait emprunter plusieurs chemins pour revenir à la règle constitutionnelle. Ces options vont au-delà de considérer la déchéance de Condé comme un fait accompli et augmenteraient la gouvernance légitime et démocratique, tout en appelant à la tenue de nouvelles élections.
La première option verrait Condé retrouver son siège, avec comme condition que les Nations unies organisent de nouvelles élections dans les six mois. Cette approche verrait la junte se désister, tout en reconnaissant la nature contestée du mandat présidentiel de Condé.
Cette option fait usage de l’exemple offert par les évènements récents au Malawi et au Kenya où les cours ont invalidé les résultats d’élections frauduleuses et ordonné la tenue d’un nouveau scrutin présidentiel. Étant donné la politisation des cours aujourd’hui suspendues en Guinée, une telle décision devrait peut-être émaner de la Cour de justice de la CEDEAO qui ferait usage du décompte parallèle des voix de l’opposition comme justification.
Une deuxième possibilité verrait la CEDEAO invalider le référendum constitutionnel de 2020 de la Guinée. Cette option annulerait la base sur laquelle Condé a brigué un troisième mandate et s’alignerait avec les engagements du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance. Le président du Nigeria Muhammadu Buhari a fortement soutenu les provisions de l’article 45 du protocole qui déterminerait cette option.
En l’absence de toute reconnaissance de la communauté internationale et des institutions financières, la junte serait forcée de céder la place à un gouvernement civil d’intérim. Celui-ci organiserait de nouvelles élections, selon la constitution de 2010 et sans la participation d’Alpha Condé.
Une troisième option verrait son fauteuil rendu à Condé, qui, au service de la paix et de la stabilité, démissionnerait, lui permettant de sauver la face et de restaurer la constitution. En échange de sa libération, il serait aussi protégé de futures poursuites judiciaires. Selon l’article 55 de la constitution de 2020, le président de l’Assemblée nationale s’en trouverait doté de l’autorité exécutive et organiserait de nouvelles élections dans les 90 jours.
Tous ces scenarios n’envisagent aucun rôle pour l’armée. Toute reconnaissance de ce coup ne ferait qu’en encourager d’autres. Les soi-disant transitions dirigées par l’armée au Mali et au Tchad se poursuivent à pas de tortue, démontrant l’absence de motivation pour les dirigeants militaires d’abandonner le pouvoir.
L’ordre constitutionnel en priorité
L’échec de la CEDEAO et de la communauté internationale à soutenir les processus démocratiques quand Condé briguait un troisième mandat sont la cause de la situation malencontreuse dans lequel se trouve aujourd’hui le pays. Cela veut dire, ironiquement, que la CEDEAO est dans la position difficile de devoir négocier avec une junte pour remettre la Guinée sur la voie de la démocratie.
La CEDEAO devrait se souvenir de cette leçon quand de futurs présidents sortants tentent de contourner les limitations de mandats et d’organiser des élections frauduleuses. Agir pour prévenir les prises de pouvoir anticonstitutionnelles de toutes formes, que ce soit les coups d’État militaires ou les coups rampants, doit être une priorité pour la CEDEAO.
Laisser ces manigances se produire, aussi justifiées soit-elles dans l’intérêt immédiat de la stabilité, ne fait que semer les graines de l’instabilité future.
Cet article est d’abord paru dans The Conversation sous une licence Creative Commons.
Vous pouvez lire l’original (en anglais) ici.
Joseph Siegle est directeur de la recherche et Daniel Eizenga est chargé de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Les opinions exprimées sont les leurs.
Source : africacenter