Les manifestations qui se multiplient contre l’augmentation des prix, suite à la loi de finances 2018, ont tourné à l’affrontement dans plusieurs villes du pays. Un homme a succombé à l’inhalation des gaz lacrymogènes à Tébourba. Un scénario qui rappelle les événements ayant conduit à la chute du régime de Ben Ali.
Des affrontements ont éclaté, lundi 8 janvier, dans plusieurs villes de Tunisie faisant un mort à Tébourba (à une quarantaine de kilomètres de Tunis), selon le ministère de l’Intérieur.
Depuis l’adoption de la loi de Finances 2018 axée essentiellement sur une augmentation des taxes, le feu couvait sous les cendres. À Sidi Bouzid, Meknassy, Kasserine, Thala, Gafsa, Tébourba et Tunis, des manifestants ont exprimés leur colère face à la flambée des prix et l’accélération des projets programmés par le gouvernement.
Confrontation avec les forces de l’ordre
Des tensions qui ont lieu alors que la Tunisie est en état d’urgence depuis les attentats de 2015. Un régime d’exception qui octroie des pouvoirs d’exception aux forces de l’ordre, et permet notamment l’interdiction de grèves et des réunions « de nature à provoquer le désordre ».
Un peu partout, les manifestations ont tourné à la confrontation avec les forces de l’ordre, qui ont usé de gaz lacrymogènes en abondance pour disperser les manifestants. À Tébourba, un jeune homme est mort. Il a succombé à l’inhalation de ces gaz, selon le ministère de l’Intérieur.
De quoi mettre le feu aux poudres : les protestations ont viré à l’émeute et au saccage notamment à Téboura et à Hay Ettadhamen, la plus importante cité populaire de Tunis. Des commerçants ont tenté de défendre leurs biens tandis que des agences bancaires et des grandes surfaces ont été pillées.
Des habitants de Gafsa ont quitté la ville pour se diriger vers l’Algérie. « Pauvreté, chômage, on quitte le pays ! » lançait l’un d’eux, arborant le drapeau algérien.
Le feu s’est petit à petit propagé porté par le collectif « Fech Nestanaou » (« Qu’attendons-nous ? ») qui appelle à des rassemblements régionaux le 12 janvier. Jusque-là inconnu, ce groupe d’activistes, dont plusieurs membres ont été arrêtés à Sousse, Bizerte et Tunis pour avoir tagué des murs et distribué des tracts protestant contre le coût de la vie, semble très bien coordonné et organisé ; sans que l’on connaisse ses sources de financement.
Souvenir de la révolution de 2011
Ces événements rappellent ceux qui ont conduit à la chute du régime de Ben Ali et à la révolution tunisienne du 14 janvier 2011. Sept ans plus tard, rien n’a changé : les revendications sur l’emploi et l’équité sociale sont les mêmes, avec une situation économique nettement plus dégradée. Et l’espoir en moins.
Signe que la crise est sérieuse, la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui soutenait jusque-là le gouvernement Youssef Chahed devient critique à son égard l’enjoignant de revenir sur la loi de finances et l’accusant d’avoir failli aux engagements pris.
Gouvernement et partis au pouvoir semblent avoir été pris de court et sont restés sans réaction. Un silence dont profitent les autres formations.
Saïd Aïdi, ancien ministre et fondateur du parti Bani Watani (« Les enfants de ma patrie »), dresse un réquisitoire sans concessions contre l’exécutif : « un gouvernement sans vision et à court d’idées, un gouvernement qui, jour après jour, se contente des effets d’annonce sans suite ».
Selon lui, l’équipe au pouvoir est incapable de négocier et de constituer une force de proposition et d’équilibre face à ses interlocuteurs nationaux et internationaux. Sa composition étant le fruit « de petits compromis et de grandes compromissions », elle est chaque jour un peu plus « déconnecté de la dure réalité du citoyen ».
Dans les milieux politiques, on en arrive même à dire que les jours du gouvernement Chahed sont comptés. « La majorité au pouvoir est incapable d’améliorer la situation, et ceux qui la remplaceront à l’avenir feront certainement mieux », glisse Mohamed Abbou, fondateur du Courant démocratique. En Tunisie, cette vague de mécontentement a en tout cas de sérieuses raisons d’inquiéter le gouvernement.
Jeune Afrique