Avant sa nomination comme Premier ministre le 21 mai 2018, Ibrahima Kassory Fofana était depuis 2014, ministre d’Etat chargé de la promotion des investissements et des Partenariats Public-Privé (PPP). Economiste de formation, il a été ministre des Finances et de l’économie de 1997 à 2000 après avoir occupé plusieurs postes de responsabilité dans l’administration guinéenne et au sein d’institutions financières internationales (BAD, FMI). Fervent défenseur du recours aux PPP, Kassory Fofana décrypte pour «La Tribune Afrique» les enjeux entourant ces mécanismes de financement qui ont la cote sur le Continent.
LTA : Depuis quelques années, les PPP sont érigés en alternatives pour financer le développement de l’Afrique. Après l’Aide publique au développement (APD) ou les investissements étrangers, le recours aux PPP n’est-il pas juste un nouvel effet de mode ?
Ibrahima Kassory Fofana : Il est important d’abord de prendre en compte le contexte qui justifie que pour les pays africains, les PPP constituent des outils efficaces de développement. C’est d’abord et justement les grandes ambitions de nos pays en matière de développement socioéconomique ainsi que les immenses besoins en infrastructures notamment qui nécessitent des ressources financières considérables alors même que les modalités de financement du développement ne cessent d’évoluer au niveau mondial.
Ensuite, nous assistons aujourd’hui à la montée en puissance des firmes transnationales dont la capacité financière de certaines est supérieure à celle de la plupart de nos Etats et même des montants que peuvent mobiliser certaines institutions financières traditionnelles. L’environnement économique mondial se trouve donc impacté par leurs activités et les flux d’investissement qu’induisent leurs stratégies d’implantation en fonction des opportunités offertes. Ce qui fait que le contexte économique mondial change pour tout le monde, notamment en termes de mécanismes de financement de développement.
Le vieux modèle centré sur l’APD et le financement des besoins restants par la dette extérieure laisse donc de plus en plus la place à un cadre dans lequel l’accent est davantage mis sur la mobilisation des ressources via les Partenariats Public-Privé et les investissements privés. Enfin, il convient de relever que les pays africains ont un potentiel économique attractif, comme c’est le cas pour notre pays la Guinée, qui offre de réelles opportunités à l’investissement privé qu’il soit local ou international.
Comme par le passé, c’est pourtant l’argument financier qui est mis en avant pour justifier l’opportunité du recours aux PPP. Comment les PPP pourraient-ils apporter un nouveau souffle au développement des pays africains ?
Les PPP sont une des meilleures réponses à la problématique du développement du continent puisque comme nous pouvons le constater, l’Afrique n’a pas pu atteindre ses objectifs du millénaire pour le développement (OMD), précisément en raison du manque de financement. Quand on additionne l’aide au développement, plus les programmes d’investissement public et privé, il reste encore à atteindre les 7% de croissance par pays, nécessaires pour remplir l’objectif du millénaire, raté en 2015 et qui consistait à réduire de moitié la pauvreté sur le Continent.
Selon la CNUCED, le niveau des investissements requis devrait être d’au moins 25% des budgets nationaux. Nous avons donc besoin de trouver quelque 60 à 70 milliards de dollars par an, or ni les États ni l’aide internationale ne peuvent suffire. Il faut donc créer les opportunités, pour les investisseurs privés africains et étrangers comme pour les pouvoirs publics, de faire des PPP un vecteur puissant de dynamisme économique pour une prospérité partagée. Un tel effort n’est à la portée que de quelques pays du Continent d’autant que l’une des conséquences de la crise des années 1980, c’est que les investissements publics ont suivi une tendance baissière sur l’ensemble du continent africain, passant du niveau record de 11,5 % en 1982 à 5 % de PIB environ en 2012.
Si pour les économies avancées, un tel niveau est très appréciable, pour les économies en développement comme les nôtres, cependant, il reste faible au regard des défis à relever. Il y a donc nécessité de recourir à des instruments de financement innovants, à même de suppléer aux insuffisances des ressources traditionnelles que sont les budgets des États et l’APD. C’est en cela que le recours aux Partenariats Public-Privé se justifie pleinement. Faut-il rappeler que depuis la crise de l’endettement des années 1980, la logique de stabilisation macroéconomique, notamment l’assainissement des comptes publics, a constitué l’objectif principal des politiques économiques menées dans nos Etats, au détriment donc de l’investissement, qui, on le sait, est fondamental pour la croissance économique.
Le recours aux PPP est surtout préconisé pour les pays africains dans le domaine des infrastructures où les besoins sont immenses…
Les besoins de l’Afrique en infrastructures concernent l’ensemble de l’économie, en particulier les secteurs de l’énergie, les routes, les télécommunications et le management des ressources en eau. La Banque mondiale, à travers le Diagnostic National des Infrastructures Africaines (AICD), estime à 93 milliards de dollars par an le niveau des financements requis alors qu’actuellement les financements mobilisés s’élèvent à 43 milliards de dollars, soit un gap annuel de 50 milliards. Selon les estimations disponibles, ce gap financier affecterait négativement le potentiel de croissance économique du continent à hauteur de 2%, limitant ainsi la productivité du secteur privé africain. L’indisponibilité des financements constitue un frein au développement de l’Afrique. Et c’est en cela que le mode de financement PPP trouve toute sa justification, en ce qu’il apporte une réponse appropriée à l’insuffisance des ressources d’investissement public. Il est donc essentiel que nos pays s’y préparent en améliorant le climat des affaires, car pour matérialiser ces opportunités d’investissement, il faut garantir des conditions de sécurité permettant aux privés de s’engager.
Bien que la loi sur les PPP n’a été mise en œuvre que l’année dernière en Guinée, plusieurs accords de partenariats ont été signés et certains déjà mis en œuvre dans votre pays. Quelles leçons avez-vous tiré de ces expériences bien que récentes et quelles sont les contraintes qui restent à lever ?
Notre pays a effectivement adopté une loi PPP qui est actuellement dans la phase de mise en œuvre à travers ses différentes composantes, car les PPP c’est avant tout un package. Cette loi vise entres autres à développer les capacités internes, à réformer les institutions, à simplifier la réglementation ainsi qu’à améliorer la gouvernance, notamment le dialogue avec le secteur privé. Nous sommes en train de travailler avec l’ensemble des acteurs pour lever les contraintes qui freinent le secteur privé. La loi PPP s’attaque aux contraintes institutionnelles et réglementaires. Il faut savoir que la loi sur les PPP permet d’améliorer globalement le cadre juridique et institutionnel du pays en mettant l’accent sur le cadre d’intervention des institutions en charge des programmes de développements en concertation avec le privé. Cependant, il y a d’autres aspects à prendre en compte parallèlement, notamment en matière de stabilité macroéconomique, de bonne gouvernance ainsi que de l’environnement des affaires, mais aussi et surtout de renforcement de la capacité humaine, c’est-à-dire la problématique de la formation et des compétences. Les PPP c’est aussi une opportunité pour promouvoir le contenu local et de création d’emploi surtout pour les jeunes, ce qui constitue un vrai défi pour nos pays. C’est sur toutes ces questions que le gouvernement travaille et il faut reconnaître que c’est un chantier permanent auquel nous nous attelons conformément aux ambitions du président Alpha Condé pour la Guinée.
Les pays d’Afrique de l’Ouest dont fait partie la Guinée se sont greffés à la dynamique des PPP avec des initiatives régionales portées par l’UEMOA et la CEDEAO. Quel est l’objectif à travers cette approche d’ensemble et comment pourrait-elle accompagner la dynamique sous-régionale ?
En Afrique de l’Ouest, que ce soit au sein de la CEDEAO et de l’UEMOA, nous avons enregistré de réels progrès pour ce qui est de l’intégration régionale ainsi qu’en matière de mise en place d’un marché commun. Nous avons des initiatives et des projets susceptibles d’être accompagnés par les PPP au niveau sous-régional. Il subsiste toutefois certaines insuffisances notamment en termes d’harmonisation des législations ou des réglementations pour garantir aux investisseurs privés comme aux États la sécurité de leurs investissements.
C’est en ce sens qu’il est nécessaire d’avoir une approche régionale, car elle peut se révéler pertinente pour accompagner cette dynamique des PPP.
LA TRIBUNE AFRIQUE