Tribune: En Afrique, le double effet du Covid (Par Ibrahima Kassory Fofana)

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Si le continent est relativement Ă©pargnĂ© par l’Ă©pidĂ©mie, les consĂ©quences Ă©conomiques du virus s’annoncent redoutables, accentuant encore l’extrĂȘme pauvretĂ© qui touche dĂ©jĂ  40 % de la population de l’Afrique subsaharienne. Ibrahima Kassory Fofana, Premier ministre de la RĂ©publique de GuinĂ©e, tire le signal d’alarme. 
 

L’urgence sanitaire ne doit pas nous faire oublier le long terme. Les consĂ©quences Ă©conomiques redoutĂ©es de l’épidĂ©mie de Covid-19 vont accentuer le plus grand mal de l’Afrique – l’extrĂȘme pauvretĂ©. Pour le gĂ©ant dĂ©mographique en gestation qu’est notre continent, l’enjeu n’est pas seulement Ă©conomique et social ; il y va aussi de la stabilitĂ© sĂ©curitaire de notre rĂ©gion. Afin de favoriser l’avĂšnement d’une Afrique Ă©mergente et stable, la prioritĂ© absolue doit ĂȘtre de vaincre le flĂ©au de la grande pauvretĂ©.

En Afrique subsaharienne, elle touche plus de 40% de toute la population ; ce taux est le mĂȘme pour mon pays. L’Afrique est pourtant dotĂ©e d’un grand potentiel Ă©conomique et possĂšde d’importantes ressources naturelles. De nombreux pays du continent profitent d’une rente miniĂšre apprĂ©ciable, y compris la GuinĂ©e, qui s’est considĂ©rablement enrichie depuis dix ans avec notamment la relance du secteur minier. Il convient Ă  prĂ©sent d’établir un lien clair entre la dynamique Ă©conomique amorcĂ©e et la rĂ©duction effective de la pauvretĂ© en Afrique.

La tĂąche est d’autant moins facile que la rĂ©cession Ă©conomique mondiale qui se profile et la perte consĂ©cutive de recettes fiscales risquent de freiner les efforts des gouvernements africains en matiĂšre de mobilisation des ressources internes. Nos pays auraient encore besoin des partenaires au dĂ©veloppement pour soutenir les programmes de rĂ©duction de la pauvretĂ© entrepris. NĂ©anmoins, l’impulsion politique doit demeurer forte en Afrique pour inscrire la lutte contre la pauvretĂ© dans une logique d’un meilleur partage de la richesse du continent au profit des plus dĂ©munis, une fois le choc Ă©conomique de l’épidĂ©mie absorbĂ©.

Notre combat ne pourra rĂ©ussir que si nous apprĂ©hendons la pauvretĂ© dans ses multiples dimensions : Ă©conomique, sociale, financiĂšre, tout en faisant la distinction entre la pauvretĂ© et l’extrĂȘme pauvretĂ©. Pour les personnes extrĂȘmement pauvres, les transferts monĂ©taires directs apparaissent comme le moyen le plus efficace, car avant toute autre chose ces mĂ©nages ont besoin d’assistance matĂ©rielle. Dans les circonstances actuelles, cet argent va les aider Ă  mieux faire face au fardeau de l’épidĂ©mie. Les services bancaires par la tĂ©lĂ©phonie mobile, trĂšs dĂ©veloppĂ©s de nos jours en Afrique, sont disponibles pour servir de canal technique et atteindre ainsi un maximum de mĂ©nages.

La stabilitĂ© du monde se joue aussi, et peut-ĂȘtre surtout, en Afrique

Quant aux personnes pauvres, il s’agit plutĂŽt de les aider, Ă  travers notamment des microcrĂ©dits, dans des activitĂ©s gĂ©nĂ©ratrices de revenus qu’elles sont capables de mener elles-mĂȘmes. La bancarisation des populations pauvres qui en dĂ©coule contribuera non seulement Ă  renforcer leur autonomisation mais aussi, Ă  terme, Ă  les intĂ©grer dans l’économie formelle. Enfin, l’emploi des jeunes en milieu urbain Ă  travers des projets Ă  haute intensitĂ© de main d’Ɠuvre est un autre axe des politiques Ă  mener.

L’évolution dĂ©mographique de notre continent nĂ©cessite une Ă©conomie robuste, capable d’intĂ©grer de plus en plus de jeunes. Un rĂŽle essentiel pour faciliter cette intĂ©gration revient Ă  l’éducation. Or, la faible scolarisation des enfants dans les familles pauvres est encore une triste rĂ©alitĂ© en Afrique. Dans certaines rĂ©gions de GuinĂ©e, un enfant est scolarisĂ© en moyenne pendant seulement deux ans et demi. Nous avons fait le choix de poser comme condition de l’aide financiĂšre aux mĂ©nages vulnĂ©rables la scolarisation complĂšte des enfants, en particulier les jeunes filles, qui doivent par ailleurs ĂȘtre soustraites du mariage prĂ©coce.

Nous devons veiller Ă  ce que la crise sanitaire ne devienne pas une crise de pauvretĂ©. Celle-ci engendrerait Ă  coup sĂ»r des crises politiques et sĂ©curitaires aux consĂ©quences imprĂ©visibles. La stabilitĂ© du monde se joue aussi, et peut-ĂȘtre surtout, en Afrique. L’Europe est la premiĂšre concernĂ©e, si l’on considĂšre ne serait-ce que l’enjeu migratoire. Relever le dĂ©fi de la grande pauvretĂ© est affaire de volontĂ© politique. Il est de notre responsabilitĂ© de dirigeants africains de mettre en Ɠuvre des politiques publiques solides pour y parvenir. Il est du rĂŽle de la communautĂ© internationale, crucial Ă  l’heure actuelle, de rester mobilisĂ©e pour nous y aider.


Économiste, prĂ©cĂ©demment ministre d’État chargĂ© des investissements et des partenariats public-privĂ© et ministre de l’Economie et des Finances, Ibrahima Kassory Fofana est Premier ministre de la GuinĂ©e depuis le 21 mai 2018

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