Un survivant de l’épidémie d’Ebola de grande ampleur ayant sévi en Afrique de l’Ouest en 2013-2016 serait à l’origine de la flambée épidémique qui frappe actuellement la Guinée. Telle est la surprenante conclusion de trois rapports indépendants publiés le 12 mars 2021 sur le site virological.org.
La nouvelle épidémie d’Ebola en Guinée n’aurait donc pas pour origine un nouveau passage du redoutable agent pathogène de l’animal à l’homme (anthropozoonose), mais la résurgence du virus qui circulait il y a cinq ans à partir d’un survivant d’Ebola.
Changement de paradigme
Le fait qu’une nouvelle flambée épidémique puisse se produire à partir d’un individu porteur d’une infection latente cinq ans après une épidémie antérieure est totalement inattendu*. Cela constitue un changement de paradigme concernant la transmission du virus Ebola dans la mesure où une nouvelle épidémie pourrait ne pas forcément émerger à partir d’un franchissement de la barrière d’espèce d’un animal sauvage à l’homme.
À ce jour, la plus longue durée de persistance du virus chez un survivant de la maladie au virus Ebola était de 531 jours. En 2015, des chercheurs avaient ainsi rapporté le cas d’un survivant âgé de 56 ans dont le liquide séminal renfermait le virus 17 mois après l’apparition de la maladie. En février 2016, cette personne avait transmis le virus par voie sexuelle 470 jours après le début des symptômes et avait été à l’origine d’une flambée épidémique en Guinée et au Liberia.
Les études publiées sur virological.org concernent l’épidémie de maladie à virus Ebola en Guinée forestière déclarée le 14 février 2021. À ce jour, neuf personnes sont décédées. C’est la première fois que la maladie est signalée dans ce pays depuis la fin de la dramatique épidémie ayant sévi de 2013 à 2016. Celle-ci avait été responsable de plus de 28 000 cas en Sierra Leone, en Guinée et au Liberia, avait entraîné plus de 11 000 morts et laissé plus de 10 000 survivants. L’épidémie avait commencé en Guinée, avant de se propager en Sierra Leone et au Liberia.
Trois équipes ont cherché à déterminer la nature de la souche virale de l’actuelle épidémie en Guinée.
Concernant la première équipe, trois prélèvements ont été envoyés à l’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal pour séquençage génétique. Les chercheurs, en association avec des biologistes moléculaires des universités du Nebraska (États-Unis) et d’Édimbourg (Royaume-Uni), sont parvenus à obtenir deux séquences génétiques, correspondant respectivement à 99,6 % et 98,7 % de l’ARN viral génomique.
Les chercheurs ont comparé les deux séquences génétiques du virus circulant actuellement en Guinée à 1 063 génomes de l’épidémie d’Ebola qui avait sévi de 2013 à 2016. Il s’avère que les génomes des virus Ebola circulant en 2021 sont extrêmement proches de ceux de l’épidémie historique.
Les génomes partagent par ailleurs dix substitutions qui étaient apparues lors de l’épidémie historique, en particulier une mutation qui était survenue en Sierra Leone et qui témoigne d’une adaptation du virus à l’homme (mutation A82V dans la glycoprotéine). En d’autres termes, le virus circulant actuellement partage certaines caractéristiques avec celui qui circulait lors de l’épidémie historique. Ces données montrent que l’épidémie actuelle n’a sans doute pas pour origine un nouveau passage à l’homme du virus Ebola à partir d’un réservoir animal, mais qu’elle est directement liée aux cas humains survenus en 2013-2016.
De fait, les chercheurs précisent que les génomes du virus circulant cette année en Guinée sont étroitement apparentés à la souche Makona qui sévissait en août 2014 dans la même région. Les séquences génétiques ne divergent que de douze ou treize substitutions en comparaison à celles de l’épidémie antérieure. Autrement dit, on observe, sur la totalité du génome, une différence seulement au niveau de douze ou treize lettres entre le virus circulant actuellement et celui qui circulait à l’époque.
Il s’agit là d’un taux de mutation très inférieur à celui auquel on s’attendrait si ce virus à ARN avait circulé durant tout ce temps entre individus, autrement dit s’il avait été transmis via plusieurs chaînes de transmission.
On estime en effet qu’il se produit 22 ou 23 substitutions par an dans le génome du virus Ebola, ce qui aurait dû aboutir, en conservant le même rythme, à plus de 110 mutations cinq ans après l’épidémie historique qui s’est achevée en 2016. À l’inverse, une infection persistante expliquerait que le génome du virus n’évolue quasiment pas. Il y a donc tout lieu de penser qu’en 2021 l’épidémie en Guinée a débuté à partir d’une personne qui hébergeait le virus Ebola depuis au moins cinq ans.
Cette conclusion est également celle retenue par une autre équipe dirigée par des chercheurs du centre de recherche et de formation en infectiologie (CERFIG) de l’université de Conakry (Guinée) et leurs collègues français de l’université de Montpellier. Les biologistes moléculaires ont comparé quatre séquences génétiques couvrant au moins 99,9 % du génome du virus actuel avec des génomes viraux provenant de l’épidémie historique.
Il ressort que trois génomes du virus circulant actuellement sont strictement identiques et qu’un quatrième génome ne diffère qu’au niveau d’un seul nucléotide (substitution d’une lettre dans le code génétique). L’analyse phylogénétique, visant à déterminer le degré de parenté entre les génomes viraux, a par ailleurs montré que les séquences de 2021 appartiennent à un groupe de virus qui circulait lors de l’épidémie historique qui a sévi entre 2013 et 2016. Les chercheurs en concluent donc que la nouvelle épidémie est le résultat de la résurgence d’une souche qui circulait en Afrique de l’Ouest en 2013-2016 et que le faible taux de mutation observé lors de la comparaison des séquences génétiques serait dû à la persistance du virus Ebola, maintenu dans un état de latence, chez un survivant.
Le troisième rapport, émanant de chercheurs du laboratoire Projet des fièvres hémorragiques de Guinée (PFHG) de Conakry en association avec leurs homologues de l’Institut de médecine tropicale de Hambourg (Allemagne), rapporte des résultats similaires.
En Guinée, le cas index est une infirmière de 51 ans
L’épidémie actuelle en Guinée est apparue entre le 18 janvier et le 13 février 2021 dans la sous-préfecture de Gouécké, dans la région de Nzérékoré. Les patients présentaient de la diarrhée, des vomissements et des saignements après avoir assisté à l’enterrement d’un membre de leur famille, le 1er février 2021. Le cas index était une infirmière de 51 ans qui avait consulté le 18 janvier 2021 dans un centre de santé pour des maux de tête, des nausées et vomissements, une perte d’appétit, des douleurs abdominales, de la fièvre et de la fatigue.
Un diagnostic de fièvre typhoïde avait alors été posé. Le 23 janvier 2021, elle a demandé un deuxième avis médical dans un autre établissement de santé où un diagnostic de paludisme avait été posé. Elle est décédée cinq jours plus tard après avoir entre temps consulté un praticien traditionnel. Le 1er février, les mesures recommandées pour une inhumation sans danger n’ont pas été appliquées. Les cinq membres de sa famille et le praticien traditionnel qu’elle a consulté ont été contaminés. Sur ces sept cas groupés, cinq sont décédés.
On sait que le virus Ebola peut échapper au système immunitaire, en résidant dans le globe oculaire, les testicules ou le liquide céphalo-rachidien, qui représentent ce que les spécialistes appellent des sanctuaires immunologiques. Dans de rares cas, un survivant de la maladie à virus Ebola peut faire une rechute lorsque le virus se réactive. Cela a été le cas de l’infirmière britannique Pauline Cafferkey qui, après avoir été infectée en Sierra Leone, avait développé l’année suivante une méningo-encéphalite lors d’une réactivation du virus. Elle avait due être hospitalisée quelques mois plus tard car présentant des symptômes après une seconde réactivation.
Comment expliquer chez un survivant la réactivation du virus Ebola après plusieurs années ? L’hypothèse de loin la plus probable est que le virus, maintenu à l’état latent dans les testicules, soit réactivé à la faveur d’une infection intercurrente ou d’une baisse de l’immunité et ait été ensuite transmis lors d’un rapport sexuel. L’infirmière guinéenne a donc sans doute été contaminée par voie sexuelle par un individu contaminé par Ebola il y a cinq ans et qui a récemment fait une rechute. On ne peut cependant exclure que l’infirmière ait été infectée par le virus plusieurs années auparavant et n’ait développé que peu de symptômes. Dans ce cas, elle pourrait elle-même avoir été une survivante d’Ebola, sans même le savoir, et avoir fait une rechute.
Éviter la stigmatisation des survivants d’Ebola
« Sur un plan pratique, le fait qu’un patient survivant d’Ebola puisse, à l’occasion d’une rechute, être à l’origine d’une nouvelle épidémie montre la nécessité de développer la recherche de médicaments antiviraux, seul moyen pour éradiquer un virus qui demeure à l’état latent dans l’organisme », souligne Eric Delaporte, professeur de maladies infectieuses à l’université de Montpellier (unité IRD/Inserm) et co-auteur de la première étude. Et ce spécialiste d’ajouter que « du fait de la fréquence des épidémies d’Ebola, survenant parfois dans des zones urbaines densément peuplées, le nombre des survivants est plus important, ce qui augmente le risque de réactivation du virus ».
« L’information d’une résurgence d’Ebola à partir d’un survivant est à manier avec beaucoup de précaution compte tenu de la stigmatisation que subissent ces personnes. En effet, notre équipe ayant récemment rapporté que ces patients survivants peuvent encore présenter des séquelles quatre ans après avoir été déclarés guéris, il ne s’agit donc pas que cette population déjà vulnérable soit à nouveau stigmatisée », déclare Eric Delaporte. « La prévalence des symptômes sur ces survivants d’Ebola diminue au fil des années, mais reste étonnamment élevée, traduisant l’existence de formes que l’on pourrait appeler « Ebola long », voire très long, par analogie avec la dénomination utilisée dans la Covid-19 », conclut-il.
Marc Gozlan