Emmanuel Macron a annoncé jeudi qu’il va “supprimer l’ENA”, école de la haute administration et symbole de l’élite française, et va la remplacer par un “Institut du Service public”. Le but affiché est de diversifier les profils de la haute fonction publique.
L’École nationale d’administration sera remplacée par l’Institut du service public. Il faut dire, explique en Une Libération, que l’ENA était « devenue le symbole technocratique des élites coupées du réel » et qu’elle était « dans le viseur depuis la crise des gilets jaunes ». Et ce quotidien, à la Une duquel un Emmanuel Macron prestidigitateur, baguette de sorcier à la main, extrait un énarque de son chapeau comme un magicien le lapin de passe-passe, de dénoncer une « réforme de façade, cachée derrière un changement de nom ».
« Macron s’attaque à la fabrique des élites », rehausse le journal Les Échos, en mettant en garde contre « le populisme soft ». Question par ce journal économique posée : « Imagine-t-on la suppression de l’école Polytechnique ou de l’Université d’Oxford parce qu’elles ont des défauts ? ».
Le Figaro n’écrit pas autre chose en remarquant que « l’ENA, certes, a bien des défauts – pensée univoque, primat de la mécanique intellectuelle sur la force du caractère -, mais effacer ces trois lettres pour les remplacer par ISP (Institut du service public) n’abolira en rien la dérive bureaucratique ».
La suppression de l’ENA est une histoire qui ne date pas d’hier en France
C’est ce que souligne Le Parisien. « Emmanuel Macron s’est attaqué à un vieux serpent de mer » : « supprimer l’ENA » », formule ce journal, dans lequel l’ancien ministre – et énarque – Jean-François Copé accuse Emmanuel Macron d’être entré « dans une course mortifère, suicidaire pour essayer en permanence de complaire aux exigences des populistes (…) Emmanuel Macron pense que c’est comme ça qu’il va gagner des voix, moi je pense que c’est comme ça qu’il va en perdre », dit encore au Parisien le maire (LR) de Meaux, centre-est de la France, en rappelant « qu’un des tout premiers pourfendeurs de l’ENA, c’était Jean-Marie Le Pen ».
« Supprimer l’ENA, une idée d’énarque », moque L’Opinion, en se demandant « si cela changera quoi que ce soit au mal français » et s’il va falloir « attendre dix, vingt ans pour que les premiers post-énarques, sortis de cette nouvelle Non-ENA, mettent enfin en pratique tout ce qu’ils auraient appris de différent d’avant ».
« Sofagate »
Dans la presse également, le « sofagate », ou cet affront protocolaire ressenti il y a trois jours à Ankara, capitale de la Turquie, par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, au vu de la disposition des fauteuils lors d’une réception officielle.
Elle enfle, elle enfle, la polémique du « sofagate ». En cause, donc, la place octroyée sur un simple de divan en retrait par le protocole turc à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’une réunion des présidents des institutions de l’UE avec le président turc Erdogan et celui du Conseil européen Charles Michel. Hier soir, le chef du gouvernement italien Mario Draghi a même traité Erdogan de « dictateur » et s’est dit « très navré par l’humiliation que la présidente de la Commission a dû subir ».
« Deux fauteuils pour trois », formule Le Figaro, en évoquant un « affront », dont « l’intérêt » est d’autant plus « grand » que, croit bon de préciser Le Figaro, Ursula Van der Leyen « est une femme – la première à présider la Commission – et que l’affaire s’est déroulée en Turquie, un pays qui s’est retiré, en mars, de la Convention d’Istanbul sur les violences faites aux femmes ».
« Rafale papers »
Mediapart accuse le Parquet national financier, d’avoir « enterré » une « affaire d’État ». Documents à l’appui, ce journal en ligne accuse en effet le PNF, le Parquet national financier ainsi que l’Agence française anticorruption d’avoir « enterré » des soupçons de corruption portant sur la vente d’avions de combat français Rafale il y a cinq ans à l’Inde.
Le site d’informations affirme qu’en juin 2019, l’ex-cheffe du PNF, Eliane Houlette, a refusé d’enquêter sur cette vente, contre l’avis de son adjoint d’alors, qu’elle avait chargé d’analyser un signalement de l’ONG Sherpa, qui dénonçait un an plus tôt des soupçons de corruption et de favoritisme.
Entre autres informations, Mediapart assure que l’Agence française anticorruption n’a pas signalé à la justice avoir « découvert » que juste après la signature du contrat des Rafale, l’avionneur Dassault a accepté de payer 1 million d’euros à un intermédiaire indien du nom de Sushen Gupta, qui aurait aidé ce groupe français d’armement à conclure la vente en « se procurant des documents confidentiels du ministère de la Défense indien » sur la proposition d’un concurrent, permettant ainsi à Dassault de « revoir son offre à la baisse et décrocher in fine le contrat ».
Pas plus le PNF que l’avocat d’Eliane Houlette, et celui de son ex-adjoint n’ont souhaité commenter les informations de Mediapart, et l’Agence française anticorruption pas davantage.
L’idée semble en vogue en temps de crise. Au printemps 2019, au terme du Grand débat national initié en réponse à la crise des Gilets jaunes,Emmanuel Macron avait déjà fait part de sa volonté de supprimer l’École nationale d’administration(ENA). Deux ans plus tard, et alors que la France traverse cette fois-ci, depuis plus d’un an, une crise sanitaire sans précédent, le chef de l’État a annoncé officiellement, jeudi 8 avril, la fermeture de cette fabrique à élites.
Emmanuel va “supprimer l’ENA” pour la remplacer par un “Institut du Service public” (ISP) qui devra “sélectionner des profils moins déterminés socialement”, a-t-il annoncé à l’occasion de la Convention managériale de l’État. “L’ISP formera tous les élèves administrateurs de l’État et intégrera un tronc commun à 13 écoles de service public”, “une révolution profonde en terme de recrutement” dans la fonction publique, a précisé le chef de l’État en visioconférence devant plusieurs centaines de préfets, ambassadeurs, chefs d’administrations centrales ou recteurs.
Créée en 1945 par le général de Gaulle, l’ENA est régulièrement critiquée pour sa formation d’élites “hors sol”, “déconnectées du réel”. Quatre des six derniers présidents de la République, dont Emmanuel Macron, sont issus de cette école, installée à Strasbourg depuis 2005, tout comme de nombreux ministres et élus.
Un travers amplifié par la crise sanitaire du Covid-19 durant laquelle l’administration française a été accusée d’être à l’origine de réponses de l’État souvent jugées lentes et inefficaces, en particulier sur la question des masques, des tests, de la campagne de vaccination ou, exemple peut-être encore plus parlant, des attestations.“Même si tous les défauts de gestion de la crise ne lui sont pas imputables, la haute fonction publique est clairement responsable d’un certain nombre de maux. Mais le problème, surtout, c’est qu’elle n’est jamais coupable. Quand elle commet des fautes, il n’y a jamais de sanction, le principe de responsabilité ne s’applique jamais pour elle”, fustige Chloé Morin, ancienne conseillère à Matignon de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls, auteure de “Les Inamovibles de la République” (Fondation Jean Jaurès / Éditions de l’Aube, 2020), contactée par France 24.
Une “nouvelle aristocratie”
L’objectif de cette réforme, préparée depuis plusieurs mois par la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, est donc “d’offrir aux Français un service public plus proche, plus efficace, plus transparent et plus bienveillant”, explique l’Élysée.
En ce sens, l’une des mesures phares annoncées par Emmanuel Macron est la fin de l’affectation directe aux grands corps de l’État (Conseil d’État, Inspection générale des finances, Cour des comptes) pour les élèves les mieux classés à l’issue du cursus. Tous les diplômés seront à l’avenir des “administrateurs de l’État” qui devront faire leurs preuves sur le terrain, en préfecture ou dans les administrations.
“Les énarques rejoignant directement les grands corps, c’est devenu notre nouvelle aristocratie, juge Chloé Morin. Voir des jeunes gens accéder aux plus hautes fonctions et avoir une carrière toute tracée simplement parce qu’ils ont réussi un concours n’est plus acceptable dans notre société.”
Cela suffira-t-il pour changer la culture et le fonctionnement souvent jugé trop fermé des grands corps de l’État ? Modifier des réflexes qui ont mis plusieurs décennies à s’installer ne se fera pas d’un coup de baguette magique. D’autant que ceux-ci ont aussi été façonnés par la longue tradition d’un État jacobin et d’une culture très centralisatrice et très verticale.
“Un recrutement d’élites sociales”Emmanuel Macron a également eu à cœur d’insister, jeudi après-midi, sur la diversité des profils des étudiants qu’il espère obtenir avec un nouveau mode de recrutement. Le 11 février, lors d’un déplacement à Nantes, le chef de l’État avait insisté sur la nécessité d’ouvrir les prestigieuses écoles de l’administration à des jeunes d’origine modeste afin que plus “aucun gamin dans notre République ne se dise : ‘ce n’est pas pour moi’”. Il avait alors dressé un constat sombre de “l’ascenseur social” français, qui “fonctionne moins bien qu’il y a 50 ans” car la mobilité “est très faible”.
“L’ENA a aujourd’hui un recrutement d’élites sociales avec des élèves principalement issus de Sciences-Po Paris”, regrette Damien Zaversnik, président de l’association La Cordée, une association de promotion de la diversité sociale dans les secteurs publics et parapublics, contacté par France 24. “Quand on n’a pas dans son entourage des personnes pour nous apporter les codes très spécifiques attendus lors des épreuves, c’est impossible”, ajoute-t-il.
De fait, selon les données de l’Observatoire des inégalités, les enfants de cadres supérieurs sont, en moyenne, douze fois plus présents à l’ENA que ceux d’ouvriers et d’employés, alors que, dans la population active, ce rapport est inversé.
Damien Zaversnik voit donc d’un bon œil la réforme du recrutement annoncée, mais estime qu’il faut aller encore plus loin et oser s’attaquer à “la mécanique de la reproduction sociale” dans l’ensemble du système éducatif français, en s’attaquant notamment “aux grandes écoles de notre enseignement supérieur” qui sont aussi des lieux d’entre-soi des plus hautes classes sociales.
La réforme de la haute fonction publique sera présentée en mai en Conseil des ministres. La loi sur la fonction publique, votée en août 2019, a donné dix-huit mois au gouvernement pour réformer la haute fonction publique par ordonnances. Ce délai expirera le 7 juin.