Construite à la fin des années 50 par le géant français Pechiney, Friguia était la première phase de l’industrialisation de la région avec l’intégration verticale de l’alumine et de l’aluminium – grâce au potentiel hydroélectrique du fleuve Konkouré – de la « Guinée Française », considérée comme la perle des colonies en Afrique de l’Ouest. Le vote du « Non » en 1958 et le retrait de la France mettront fin à cet ambitieux projet mais l’usine était trop avancée et sera complétée pour devenir la première usine d’alumine en Afrique.
Fria, ancienne perle économique de la Guinée indépendante
Pendant que la Guinée du PDG se plongeait dans le collectivisme et la répression des entreprises privées, Fria restera un îlot de capitalisme pourvoyeuse de devises avec une haute qualité de vie des employés et de leurs familles qui, contrairement aux autres Guinéens recevaient des salaires décents, un traitement médical, disposaient d’installations de loisirs, de courant en permanence, qui lui valut le surnom de «Petit Paris» avec piscine publique, salle de jeux, villas pour les cadres, centre de formation, magasins bien fournis (Économat) etc… Fria suscitait l’envie de tous les autres guinéens qui croupissaient dans la pénurie et la misère.
Dans les années 90s le modèle de ville usine s’étant dégradé, les difficultés économiques et la concurrence internationale verront Pechiney se retirer complètement du projet, qui sera mis en vente par le gouvernement du président Lansana Conté en 2006, dans des conditions obscures à un prix considéré comme ne reflétant pas sa vrai valeur.
L’usine est actuellement exploitée par le géant minier russe, RusAl qui a acquis les installations lors d’une transaction avec Reynolds qui a vendu ses actions en 2003. RusAl est le premier producteur d’aluminium au monde, ses capitaux et ses dirigeants sont à majorité russes. Outre Fria, RusAl exploite aussi la bauxite guinéenne à travers la SBK et surtout le riche gisement de Dian Dian.
Suite à une grève déclenchée le 04 avril 2012, Rusal va fermer l’usine pour ne l’ouvrir qu’en 2017 mais cette fois-ci pour économiser les conflits sociaux, la compagnie russe sous-traite à la Société d’Embauches et d’Intérim des Travailleurs Africains ( SEINTA), à qui Rusal paie directement et qui est chargée de payer les employés africains. Ainsi Rusal affirme aux Guinéens qui se plaignent des conditions de travail et de la paie de s’adresser à SEINTA, car «vous n’êtes pas employés de Rusal».
Selon les affirmations des employés eux-mêmes, SEINTA paie les travailleurs en espèce sans aucune fiche de paie – pourtant obligatoire selon la Loi – ce qui rend impossible pour ces derniers de se prévaloir de leurs droits à leur pension de retraite.
Le fleuron de l’industrie guinéenne qui fut la première usine d’alumine en terre africaine, a pourtant formé des techniciens et cadres qui ont fait fonctionner l’usine pendant des décennies, avant de se retrouver à la retraite, pour profiter de leurs derniers jours sans leur pension qu’ils ont peiné à obtenir.
Guinéenews a appris que les anciens employés de l’usine qui ont eu l’âge de la retraite, ne reçoivent plus leur pension depuis des mois voire des années.
Regroupés autour d’une commission pour relancer le paiement de leurs pensions qu’ils n’ont jamais touchées depuis 2014, Guinéenews a interrogé certains qui ont peur de s’exprimer publiquement par crainte de représailles, disent-ils.
Pour en savoir plus notre rédaction à approcher un membre de cette commission pour qu’il puisse expliquer toutes les démarches menées, qui sont restées vaines jusqu’à date.
« Notre revendication prend en compte les 207 anciens travailleurs de Rusal. Ce qu’il faut savoir c’est que depuis 2014, aucun de nous n’est parti de façon officielle à la retraite, sans aucune notification écrite, et aucun n’est radié et aucun n’est réglé et aucun n’a obtenu le paiement d’une pension. Et on s’est patienté jusqu’en 2019. En 2019, la direction de Rusal a sorti une liste de retraités de 2014 à 2019 adressée aux différents directeurs pour leur signifier que ces travailleurs sur cette liste doivent aller à la retraite et prendre toutes les dispositions pour les remplacer. C’est comme ça que nous avions appris que nous devrions partir à la retraite. Depuis 2019 on n’a rien vu et on a décidé de prendre notre destin en main car nous trouvons cela anormal », a déclaré le porte-parole des retraités.
Face à cette situation, les retraités se sentent obligés de mener des démarches, afin que leurs situations puissent trouver une solution, mais se mettre ensemble semble être l’une des grandes difficultés.
« Voyant que notre problème est très sérieux, il faudrait qu’on réagisse maintenant mais comme beaucoup d’entre nous hésitent. Certains ont même peur de réclamer leur droit, nous autres savons que c’est notre droit, puisqu’on invente rien, on ne ment pas vu que la plupart des retraités ont dépassé les trente ans de service. Et moi qui vous parle, ça fait plus de cinquante ans de service jusqu’à maintenant je n’ai ni mon règlement, ni ma pension et sommes tous dans la même situation. Et pire des cas certains parmi nous sont décédés, d’autres sont malades, alors on s’est dit qu’il est temps de se lever pour trouver une solution à nos problèmes ».
Prenant leur courage en mains, ces retraités entreprennent des démarches auprès du Ministre des Mines et de la Géologie, du directeur général de la CNSS.
« De tous les gens qu’on a contactés, le Ministre des Mines avec en copie le préfet et le maire, à l’inspection du travail avec en copie l’inspecteur régional et préfectoral, notre dossier n’avance pas. On a envoyé au médiateur de la République et à la caisse nationale de sécurité sociale, qui nous ont promis que notre requête trouvera sa solution, de même que le Kountigui de Fria (patriarche), les quatre coordinations régionales, la ligue islamique et toutes les autorités de Fria mises en copie », ajoute-t-il.
Pour refuser de faire face au règlement, la direction de Rusal fait le muet et n’a pas répondu aux multiples questions de Guinéenews sur la situation de ses «anciens travailleurs».
Mais que dit la loi du travail guinéenne ?
« Répondant autrement à notre requête, la direction nous dit qu’ils pensaient que quand quelqu’un est à la retraite et qu’il sent la forme on peut continuer à le faire travailler. Les gens ont dit non car les lois du travail en guinée disent qu’il y a trois sortes de retraités : les ouvriers non qualifiés ils vont à 55 ans, les ouvriers qualifiés vont à 60 ans et les cadres vont à 65 ans et ça c’est exécutoire et l’employeur à l’obligation six mois avant l’échéance de la retraite, de faire venir l’employé et le lui signifier. Et aux termes de ce temps de travail, ils se retrouvent l’employé répond oui je veux continuer même s’il était en phase. L’employeur ne peut garder l’employé que pour deux ans renouvelables une seule fois soit quatre ans. Passé ce délai, nul n’a le droit de garder un travailleur », ajoute un membre de la commission.
C’est ce qui est arrivé à des retraités de Rusal / SEINTA, qui depuis 2015 font face à toutes les misères pour récupérer leur pension de retraite auprès de la CNSS.
Quant aux nouveaux employés, c’est cette mystérieuse compagnie de prestation dénommée SEINTA qui s’occupe du versement de leur salaire en liquide. Nul ne connaît les vrais propriétaires de cette société qui est payée directement et en devise par Rusal, dans des comptes “étrangers”, selon des sources qui n’ont pas pu prouver ces accusations.
Dans la suite de l’article Guinéenews a interrogé quelques un qui ont confirmé la nouvelle et affirment ne pas recevoir de fiche de paie.
A suivre…
Enquête réalisée par Mamadou Gueye bureau Guinéenews de Fria avec la collaboration de Boubacar Caba Bah