« Quand j’ai été élu, j’ai hérité d’un pays, pas d’un État. Parce que tout était priorité et tout était à refaire », avait déclaré le Professeur Alpha Condé au début de son premier mandat, en décembre 2010. Il était question de mettre en place toute une instance de lutte contre la corruption, de lui attribuer de larges prérogatives et de durcir le cadre légal, mais 11 ans après, ce mal gangrène toujours et de plus en plus notre société.
Le colonel Mamadi Doumbouya, après avoir pris tous les pouvoirs, s’est lancé dans la guerre promise, celle de lutter contre la corruption, la malversation et tout autre phénomène qui pourrait nuire aux intérêts des Guinéens. Certes, les intentions du Président de la Transition sont bonnes, mais suffisent-elles pour mettre fin à un fléau qui a beaucoup de terrain, et s’est ancrée dans les mœurs et les habitudes ? Parviendra-t-il à mettre la main sur les lobbies et sur les cercles financiers corrompus ? Sera-t-il en mesure de faire face à tous les barons de la corruption ? Aura-t-il le courage de donner un coup de pied dans la fourmilière ? Tant de défis attendent le Président de la Transition qui jouit d’un soutien populaire inédit.
Lors d’une rencontre avec les travailleurs des médias publics, le Président de la Transition a demandé aux travailleurs de cet important média d’Etat de se défaire des vieilles habitudes pour dénoncer la corruption et les autres maux qui gangrènent la gouvernance et la société guinéenne. Il a mis en place la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief). Dans la foulée, le procureur général de Conakry lui a transmis plusieurs dizaines de dossiers à instruire. Des informations judiciaires ont été ouvertes pour des faits présumés de détournement de fonds publics. Il s’est également attaqué à l’agence nationale de lutte contre la corruption et de la promotion de la bonne gouvernance elle-même. Résultat : limogeage du directeur général de l’agence. Il a décidé dans une série de décrets, de mettre fin aux fonctions de nombreux directeurs généraux et administrateurs d’entités publiques pour des faits présumés de détournement et autre délits financiers.
Sauf qu’en dépit de toutes ces bonnes mesures et décisions, et bien qu’il semble aller jusqu’au bout dans cette guerre, Le Colonel Mamadi Doumbouya marche sur un terrain miné. Les premiers ennemis de cette guerre ne sont autres que les guinéens eux-mêmes. La corruption est dans toutes les têtes. C’est le mental, corrompu à outrance chez nous, qui doit être assaini au préalable afin de réussir la guerre contre la corruption enfin déclarée. C’est d’autant plus impératif qu’en Guinée, les forces du mal sont bien plus fortes que l’État. Il doit s’attendre à une résistance inédite de la part de certains lobbies de la corruption. De la contrebande au marché parallèle, en passant par les cercles financiers corrompus, certains groupes de pression aux ramifications ethniques, régionalistes, réligieuses, politiques et économiques pourraient s’allier pour contrecarrer cette manœuvre présidentielle. Leur stratégie repose sur une seule pratique : mettre des bâtons dans les roues et paralyser les rouages de l’Etat en instrumentalisant les crises sociales. Le Colonel Mamadi Doumbouya et son cabinet sont-ils en mesure de prévoir de tels mouvements suspects ? Le ministère de l’Intérieur pourra-t-il faire face à ces agissements, notamment par le biais des renseignements ? La guerre n’est pas gagnée d’avance.
Il ne suffit pas de déclarer une guerre, surtout contre une corruption généralisée, se nichant d’abord dans les têtes. Il importe de prévoir des outils, des armes et une meilleure stratégie pour la gagner, et surtout d’user d’atouts pour éradiquer le mal à la racine. Si pour l’instant les armes du Président de Transition sont assez connues : un soutien populaire inconditionnel, une persévérance et une main de fer contre les corrompus, pour l’instant sa stratégie est manquante, ou du moins pas claire. Comment compte-t-il procéder ? Par où commencer alors que la corruption gangrène pratiquement tous les secteurs et frappe toutes les articulations de l’Etat ? Est-il plus judicieux de se pencher sur la corruption dans l’administration guinéenne qui pourrait affaiblir les actions présidentielles par le biais de la bureaucratie ? Rien n’est encore sûr. Mais ce qui est assez clair, c’est que l’une des armes les plus importantes de cette guerre n’est pas entre les mains du Président de la République : une justice forte, impartiale et équitable. En effet, cette lutte contre la corruption doit être menée en premier rang par une justice équidistante de toutes les couleurs politiques pour pouvoir s’attaquer à ce fléau.
La lutte contre la corruption en Guinée est régie par un ensemble de textes de loi. Le pays a institué par Décret D/2017/219/PRG/SGG, la loi L/2017/041/AN du 04 juillet 2017 portant prévention, détection, et répression de la corruption et des infractions assimilées. Cette loi accorde la possibilité à toute personne, employée d’un organisme public ou privé, victime ou témoin des pratiques frauduleuses de pouvoir saisir le Procureur de la République ou l’organe national de lutte contre la corruption afin de sanctionner les fraudeurs et leurs complices, mais elle doit être consolidée et soutenue dans le temps.
La corruption dégrade la qualité de vie et favorise la criminalité organisée, le terrorisme et d’autres menaces pour la sécurité humaine. Elle contribue à l’instabilité et à la pauvreté et constitue un facteur dominant qui conduit les États fragiles à la déliquescence. La corruption ne doit jamais être perçue comme étant un fait inéluctable de la vie. Prendre part à la promotion d’une culture de la transparence, de l’intégrité et de la responsabilité, ce serait-il trop nous demander ? Plus que le sida et Ebola hier et le coronavirus aujourd’hui, la corruption tue. Pour parler clair, en détournant à leur profit l’argent public, en méprisant, au-delà de toute décence, l’intérêt général, de nombreuses responsables de ce pays doivent-ils pas être tenues pour responsables, au moins partiellement, de la misère dans laquelle croupissent au moins 13 millions de nos compatriotes ? Traitée généralement à la rubrique « faits divers », devrait-elle pas, normalement, passer à celle des « crimes contre l’humanité » ?
Lutter contre la corruption renvoie à un combat de longue haleine, qui nécessite l’implication de toutes les parties prenantes en Guinée. La volonté du Président de la Transition, Mamadi Doumbouya, n’est pas malheureusement une condition suffisante pour aboutir à quelques exploits et acquis en la matière. Notre devoir de citoyen est de demander des comptes constamment à ceux qui ont un mandat pour nous représenter ou nous gouverner.
Ousmane Boh KABA