Le procès des événements du 28 septembre 2009 est au cœur de l’actualité, et rythme le quotidien des Guinéens. Tel un roulement de tumbas pendant les temps forts d’un bon morceau de salsa. Du genre « Tumba la caña » de l’orchestre « La Charanga de la 4 ».
De même, à travers les audiences très médiatisées du tribunal ad hoc, affublé de son sobriquet « Toumba », l’ancien aide de camp du capitaine Dadis Camara est en passe de devenir le clou du spectacle, la superstar de l’événement.
Et dire que tout le temps qu’on le voyait dans l’ombre du chef de la junte de l’époque, avec une mine patibulaire et une réputation de monstre froid, on le rangeait plutôt dans la catégorie des taciturnes, le médecin-commandant Aboubacar Diakité se révèle sous un jour nouveau : l’air sympathique, bon orateur, loquace, se laissant aller même à faire de l’humour, et capable de débiter des invocations coraniques de manière à donner des complexes à un imam djihadiste.
Le moins que l’on puisse dire, la stratégie, si c’en est une, semble payer pour le moment en ce qui concerne le jugement du grand public. Ce qui, évidemment, ne présage en rien l’arrêt que vont prendre finalement le président de la cour et ses assesseurs. Puisque le choix de tout mettre sur le dos de son ancien patron, qu’il a failli d’ailleurs trucider avant d’aller en cavale, au prétexte que ce dernier voulait le sacrifier, ne saurait dissiper les zones d’ombre qui entourent le rôle qu’il pourrait avoir joué ce jour fatidique, et en général durant la transition sous Dadis Camara. Car, ne dit-on pas que le Diable invoquerait volontiers les livres saints si cela peut le sortir d’un mauvais pas ?
Ses fréquentes citations de la parole divine ne sont d’ailleurs pas du goût de tout le monde. Certains avocats de l’ancien chef de l’Etat guinéen ont exprimé leur désapprobation devant la cour. Pour eux, si on accepte que la religion entre par la porte dans le prétoire, c’est le droit qui risque d’en sortir par la fenêtre !
« Si la religion revenait… », devraient-ils dire ? Puisque dans les pays dont nous mimons le système judiciaire, parfois à la limite du burlesque, la justice fut longtemps de droit divin. À une époque elle relevait même du clergé. La toge (ou robe) que porte aujourd’hui les robins a certes subi des modifications au fil du temps, mais elle fut autrefois une soutane de religieux, avec 33 boutons symbolisant l’âge du Christ à sa mort sur la colline de Golgotha.
Pendant que les comparutions se poursuivent au tribunal ad hoc dans la commune de Kaloum, un constat s’impose. Même s’il existait un audimat chez nous, on n’en aurait pas eu besoin pour se rendre à cette évidence : le procès bat tous les records d’audience, crève les écrans et agite avec frénésie la toile.
De plus en plus de Guinéens en sont devenus accros, à telle enseigne que le « procès du siècle », comme n’hésitent pas à le qualifier certains, tend à devenir une sorte d’exutoire pour échapper à la dure réalité : transition qui ronronne, cherté de la vie, crise socio-politique lourde de menaces, bref, un présent qui geint et qui annonce des lendemains qui vont chanter faux.
N’eut été justement le fait que le pain manque, ou qu’il soit rassis quand on en trouve, d’aucuns auraient parié que la tenue de ce procès, en ce moment précis, relève de la diversion : détourner le regard du populo de la galère ambiante et des cafouillages de la gouvernance.
Selon la célèbre formule de l’époque de la Rome antique, on aurait alors pu parler de « panem et circenses » (du pain et des jeux de cirque).
A priori il n’en est rien. Et si la junte actuelle avait, malgré tout, une idée quelque peu tordue derrière la tête, peut-être qu’on ne le saura qu’à posteriori.
A. Top Sylla